Côte d'Ivoire: Les journalistes victimes de leurs choix politiques

Publié le par Dozowoulé

La Côte d'Ivoire a rendu hommage, du 12 au 14 mars, à un journaliste émérite, Jérôme Diégou Bailly, décédé le 1er février 2009. L'hommage quelque peu timoré qui lui a été rendu aurait pu être grandiose, à la dimension des qualités professionnelles du défunt. S'il n'y avait pas eu ce hic qui a accompagné l'homme les dernières années de sa vie.

Loin de nous l'idée de salir cet honorable maître du verbe. Ne dit-on pas qu'on ne parle jamais en mal d'un mort? Toutefois, il serait bon de relever ici ce qui aura entaché la brillante carrière de l'un des premiers présidents de l'Union des journalistes de Côte d'Ivoire, et président du Conseil national de la communication audiovisuelle.

Diégou Bailly aura été un excellent journaliste pour tous les ivoiriens, jusqu'à ce que la fibre tribale prenne le dessus sur la conscience professionnelle chez lui. Après avoir contribué à l'éclosion d'une presse responsable de l'opposition, à la tête de titres aussi prestigieux que "Notre Temps" et "Le Jour" au début du multipartisme, Diégou signera son "arrêt de mort" le jour où Laurent Gbagbo prendra le pouvoir. En effet, ce jour-là, la Côte d'Ivoire et le monde entier sont secoués par la découverte du tristement célèbre Charnier de Yopougon. On attend du célèbre éditorialiste un message fort pour dénoncer ces excès alors inconnus dans notre pays. Las. Contre toute attente, sa réaction encouragera la Nation dans sa descente aux enfers: "On n'a pas encore trouvé les coupables du Guébié, ce n'est pas aujourd'hui qu'on enquêtera sur le charnier de Yopougon..."

Pour ceux qui connaissent notre pays, le Guébié est situé au Centre-Ouest, la région d'origine de Diégou Bailly et de Laurent Gbagbo. Dans les années 1970, un mouvement séparatiste y a été écrasé, au prix de quelques morts, selon le pouvoir, de milliers de morts, selon l’opposition. Opposer le Guébié au charnier de Yopougon, c'est le brandir comme une revanche. La revanche des Bétés contre les Dioulas. Il fallait le faire. Encore que si Dioulas il y avait dans cette affaire de Guébié, ce n'était que des exécutants, l'ordre venant du pouvoir détenu par le Président Félix Houphouët-Boigny, un Baoulé. Et voilà qu'on tombe dans le tribalisme...

Quoi qu'il en soit, depuis ce jour, tous les amis se détourneront de Diégou Bailly. Tous ses amis "Dioulas" et ceux qui n'avaient pas apprécié cette prise de position politico-tribale. Le laissant seul avec "son" Gbagbo. Le chef de l'Etat lui en sera reconnaissant lorsque, quelques mois plus tard, il perdra son procès contre son imprimeur et sera condamné plusieurs fois à plusieurs mois d'emprisonnement ferme. Il ne purgera aucune de ces peines. Mieux, il sera bombardé à la tête d’un CNCA fabriqué à la hâte. Mais les amitiés perdues, il ne les retrouvera plus jamais.

Des journalistes victimes de leurs choix politiques, il y en a eu partout et de tous temps. Car, le journaliste est assimilé ici, au parti politique qui se cache derrière son employeur. A Fraternité Matin, quotidien gouvernemental, ce sont des caméléons qui changent avec la direction du vent. Ceux qui travaillent dans les journaux bleus ( Notre voie, Le temps, etc.) sont des militants du FPI. Les journalistes de Le Patriote sont des militants du RDR, ceux de Le nouveau Réveil sont PDCI, etc. Il est formellement interdit de se montrer critique vis-à-vis de ses « employeurs », ni d’analyser de façon objective la situation sociopolitique sans se faire ramener à l’ordre. Toujours est-il que cela ne soit pas propre à notre pays. Le véritable problème, là où il y a des dégâts, c’est lorsque le journaliste met volontairement son origine tribale ou religieuse dans la balance. En fait d’objectivité, il devient dangereux pour lui-même et pour la société. C’est ainsi que la Côte d’Ivoire aurait fait l’économie d’une guerre stupide si la presse n’avait pas joué le mauvais rôle.

Au demeurant, Diégou bailly n'est pas seul à avoir commis ce type d'impairs dans notre pays. Avant l'accession de Laurent Gbagbo au pouvoir, d'autres journalistes s'étaient aussi négativement illustrés en défendant la cause des « Baoulés nés pour commander ». C'était la triste époque de l'ivoirité. Même s’il faut reconnaître que certains d'entre eux ont fait amende honorable depuis. Et même si la Côte d'Ivoire continue de payer le prix de leurs erreurs.

En définitive que faut-il retenir de l'illustre défunt? Qu'il fut illustre tout simplement. Rideau !

 

Publié dans Politique

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